Entretien avec Yann Ohnona, auteur de Wembanyama : "Je veux juste être moi"

Publié le 22 décembre 2023 à 17:56

 

Pour tout savoir sur le premier français numéro 1 de la DRAFT NBA il vous faut le livre de Yann Ohnona, journaliste spécialiste de basket à L'Équipe, publié chez Solar. " Je veux juste être moi. " titre de cet ouvrage et profession de foi de Wemby. C'est cette première vie, qui l'a mené des Yvelines au Texas en passant par les Hauts-de-Seine, que cet ouvrage se propose de retracer, uniquement à partir de contenus originaux, recueillis sur et hors du parquet. Des interviews, reportages, récits, décryptages mis en lumière par les photos de L'Équipe, élevés par les graphismes et illustrations de l'artiste Greg.

Le journaliste Yann Ohnona revient avec nous sur un phénomène planétaire unique dans le sport français et sur la conception de ce livre passionnant.

 

- Bonjour Yann, quand et comment avez-vous pensé à la rédaction de ce livre? Autrement dit, à quel moment avez-vous conscience que Wemby allait devenir un phénomène marquant et jamais vu en France et sur la planète basket?

La vérité est que pour les initiés, cela faisait des années qu’il était évident que l’on avait affaire à un phénomène. Les scouts US les plus forcenés avaient entendu de parler de Victor alors qu’il avait à peine onze ans (suite notamment au tournoi de Bourbourg raconté sous forme de reportage dans l’ouvrage), car étant en contact avec les formateurs de Nanterre, où il venait de signer. Impossible à cet âge de se douter jusqu’où cela pourrait aller, mais il était déjà clair qu’on parlait d’un jeune aux capacités physiques (1,91 m, à 11 ans) et mentales hors norme. De mon côté, étant centré sur le monde professionnel, je ne peux pas suivre des joueurs aussi jeunes, en revanche, dès son entrée dans le monde pro, et parce que je connais beaucoup d’agents de joueurs, je l’ai suivi, d’abord de loin, puis de plus en plus près à partir de ses quinze ans. Quant à l’idée de faire un livre, c’est une autre histoire. J’avais même refusé dans un premier temps, estimant qu’un joueur aussi jeune ne pouvait faire l’objet d’une telle attention. J’ai dû me rendre à l’évidence, au fil des mois (j’ai suivi Victor plus particulièrement ses deux dernières années en France, à l’Asvel et à Boulogne-Levallois avec les Mets), qu’en réalité, j’avais beaucoup plus de matière -et de la matière intéressante et éclairante !- que je ne l’aurais pu l’imaginer. J’ai aussi fait le constat que des milliers (des dizaines de milliers peut-être) d’articles s’accumulaient sur Wemby, pour la plupart uniquement basés sur le visionnage de ses matches ou de highlights. A force d’interviews de ses coaches, du joueur lui-même, de ses proches, coéquipiers, son staff médical etc, je me suis vite aperçu que j’avais eu la chance, grâce à la confiance que son entourage a bien voulu m’accorder, d’être l’un des seuls à disposer d’autant de contenu original sur Victor, basé sur de vrais moments passés avec lui, en m’étant déplacé dans des lieux qui avaient compté sur lui. C’est vers décembre 2022 que j’ai compris que le résultat pourrait être intéressant. J’ai donc posé mes conditions au journal : si nous allions faire un livre, ce ne serait surtout pas une biographie. Plutôt une compilation de reportages/interviews que j’avais faits autour de Wemby, pour raconter sa « première vie », celle qui l’a mené jusqu’à la draft NBA, que j’ai eu aussi la chance de suivre en immersion avec lui (voyage en avion, stade de baseball et métro new-yorkais, Rucker Park, la draft elle-même, c’était dingue). J’ai insisté sur le côté graphique. Le joueur étant fan de dessin, pour moi il était important que l’ouvrage lui ressemble. L’illustrateur/graphiste Greg m’a rejoint dans ce projet initié par l’éditeur Solar, et nous avons travaillé main dans la main en suivant un concept par épisode. Il y a deux parties principales dans le livre : la partie sur la draft, et une autre consacrée au parcours de Wemby, alternant à chaque fois l’un des lieux marquants de son début de carrière, et l’analyse d’une partie de son corps ou de son esprit. Il s’agit essentiellement de donner des pistes au lecteur pour comprendre en quoi il est si singulier. 

- Grâce à votre livre on a l'impression de rentrer dans l'intimité du joueur français au moment clé qui le révèle au monde entier : la Draft NBA. On a un peu l'impression que c'est la dernière fois qu'il fait partie de votre/notre monde, non?

C’est un peu vrai, même si en réalité, il a déjà changé de « monde » et s'est révélé au monde entier, y compris à la France, après son passage à Las Vegas, où il inscrit 37 puis 36 points en 24 heures face à une équipe G League, Ignite, en octobre 2022. A Paris, cela fait bien longtemps que moi, mes collègues et tous les journalistes basket sérieux, depuis deux ans je dirais, savent qu’il sera sauf catastrophe choisi à la première place de la draft, et qu’on n’a jamais rien vu de tel. C’est comme si la France avait eu besoin que la NBA lui dise : vous avez un diamant. 200 membres des staffs des équipes NBA se trouvaient à Vegas pour le découvrir, pour la première fois, en live. L’attention médiatique a explosé de manière exponentielle. En rentrant en France, Wemby était déjà entré dans une autre dimension, emplissant les stades sur son passage à la manière d’une rock-star, faisant des sold out à 15000 places en quelques heures, générant un marché noir, la salle de Levallois dégoulinant de spectateurs jusque sur toutes les marches des gradins, en dépit de toutes les mesures de sécurité. Cette salle de 2800 places recevait régulièrement 8 à 10000 demandes pour un match. Pour revenir à votre question, il est vrai que j’ai eu la chance d’entrer quelque peu dans l’intimité du joueur, même si j’aurais aimé aller encore plus loin. Ce que j’ai pu faire est aussi le résultat d’un travail de plusieurs années et d’une confiance réciproque avec ses agents (ComSport), qui ont dû faire le tri entre des milliers (vraiment, et du monde entier) de demandes médiatiques. Ils m’ont ouvert des portes, et j’ai notamment pu faire des interviews avant les autres. Notamment en février 2022, où je passe une après midi entière avec Victor et sa maman à Lyon. Un moment unique, que je chéris car il m’a ouvert une fenêtre sans équivalent sur sa personnalité et s’est livré sur des choses aussi diverses que son rapport à la vie, la mort, au basket, au dessin, ses ambitions, sa vision de lui-même, ses activités hors basket. Je me souviens avoir compris au bout de quelques minutes que j’avais affaire à un phénomène aussi impressionnant au niveau mental que sur le parquet. A l’époque, il était beaucoup blessé et n’avait pas encore beaucoup pu jouer avec l’Asvel. Pourtant je me souviens avoir eu cette conviction qu’avec ce mix entre corps et esprit, je ne voyais pas vraiment comment il pourrait échouer. Arriver aussi haut qu’il l’ambitionne, on verra. Mais échouer, ce n’est pas vraiment possible. Il fera des choses -il a déjà commencé- qu’on n’a jamais vues auparavant. Je me souviens que dans son salon, son horloge était arrêtée. Et pour être honnête, pour moi, en tant que journaliste, c’était, effectivement, un peu un moment hors du temps.


- Pour la préparation de votre livre avez-vous vraiment accès à tout "l'univers" de Victor ?

On en veut toujours plus et j’aurais aimé pouvoir réaliser des interviews en profondeur avec ses parents -ils ont toujours été très accueillants et respectueux avec moi et mon travail, mais n’ont pas souhaité se mettre en avant ou faire entendre leur voix à l’exception du documentaire de Canal Plus, Un1que, diffusé en octobre-, passer encore beaucoup plus de moments avec lui, dans d’autres contextes, chez lui. Mais d’une part, plus le temps passait, plus ces choses-là devenaient difficiles à envisager compte tenu de l’attention autour de lui et l’approche de la draft. D’autre part, je devais bien aussi assurer le reste de mon travail, déjà très chronophage -suivi du Championnat, de l’Euroligue, etc-.   

- Vous avez suivi la progression de Victor de Nanterre à Levallois, en passant par l'ASVEL, quels sont les trois adjectifs qui pour vous le définissent le mieux sur cette période?

Ce ne sont pas des adjectifs, plutôt des substantifs que je choisirais: Cocon, Résilience et Inception. J’aime la référence à l’univers de Christopher Nolan et de son film, dont le sens premier signifie commencement, et qui évoque l’implantation d’idées dans les rêves des gens. Ces deux concepts correspondent à l’explosion médiatique et sportive de Wemby dans sa dernière année français. Cela parle forcément à Wemby, fan de pierre précieuses, d’Heroic Fantasy et de SF, qui évoque toujours « l’univers » dans ses interviews.


- En entretien, Victor semble tout aussi mature et étonnant que sur un parquet. Le journaliste expérimenté que vous êtes a-t-il été impressionné par l'homme et ses réponses?

Comme évoqué plus haut, oui, j’ai été impressionné, et pas qu’un peu. On n’a pas l’habitude d’une telle répartie, d’une capacité de réflexion et d’imperméabilité à la pression aussi affirmées et assumées de la part d’un jeune homme de 17, 18 ans. Chez lui en février 2022, il m’avait fait un étonnant exposé sur le souci du détail de l’artiste qui avait peint une illustration qui trônait dans son salon (un basketteur en mode old-shoot, ambiance 90’s et Spike Lee). Victor passe beaucoup de temps à lire, il avait évoqué un ouvrage de SF chinois (traduit, hein, faut pas exagérer quand même ) dans l’avion pour la draft. Dans notre interview a cette occasion, il avait utilisé le mot « troncature ». Cela m’a fait marrer parce qu’honnêtement, même si je comprenais ce qu’il voulait dire (tronquer > troncature), je n’étais pas certain que le mot existait. Evidemment, il avait une bonne place dans le Larousse. Au bureau, j’ai reçu un appel me suggérant de tronquer l’interview, justement, en enlevant ce mot, dont on n’était pas certain que le lecteur le saisirait (dans le journalisme, l’un des principes est de rendre les choses complexes intelligibles). Je leur ai répondu : « vous êtes fous. Ce mot est le plus important de l’interview. Il permet de comprendre qu’on parle avec quelqu’un de spécial. »


- Dans l'entourage de Victor, que vous avez pu découvrir sur la durée, qui sont pour vous les personnes qui comptent le plus ?

Ses parents, son frère et sa sœur sans aucun doute. Puis ses agents (les sportifs, Bouna Ndiaye et Jérémy Medjana, et ceux qui gèrent les médias et l'image, Issa Mboh et Omar Bendjador), qui assurent un filtre avec le reste du monde. Puis ses coéquipiers. Victor se nourrit des relations humaines, et s’épanouit quand ses coéquipiers sont heureux. Il n’est pas individualiste. C’est pourquoi j’ai tendance à penser, même s’il ne me l’a pas lui-même confié, que la situation à San Antonio ne doit pas le rendre heureux aujourd’hui. 

- L'attente autour de "l'alien", comme l'a surnommé Lebron James, semble énorme, quelles sont ses limites à vos yeux pour vous qui l'avez suivi depuis ses débuts en pro? Et de façon plus globale comment analysez-vous le regard des Américains sur Victor ?

Le champ des possibles avec lui est si vaste que cela est très dur à déterminer de manière objective. Victor peut évoluer à quasiment tous les postes (même s’il semble plus raisonnable qu’il évolue plus près du cercle), réalise des mouvements et choses sans précédent, il dissuade et couvre les espaces en défense avec une dextérité folle, comprend le jeu… A maturité physique, avec l’expérience, et une équipe sérieuse autour de lui, il deviendra une machine de guerre. Regardez : aujourd’hui, il fait déjà des stats assez monstrueuses en shootant très mal, en faisant beaucoup de mauvais choix, avec une énorme marge de progression dans l’adresse et la prise de décision, sans avoir un meneur ou un collectif pour le servir comme il le mériterait ! L’an passé, le jeu des Mets était beaucoup plus abouti en ce sens et Victor ne doit pas bien vivre d’évoluer dans une équipe jouant aussi mal. Les limites, s’il faut en chercher se situent donc à plusieurs niveaux : la fragilité éventuelle liée à son physique (il a un historique de blessures, notamment avec l’Asvel, les grands sont par nature plus sujets aux blessures, mais en réalité, le corps de Victor fait aussi des choses qu’on n’avait jamais vues de la part de joueurs de sa taille, à l’image de sa souplesse et de sa coordination générale, donc comment être certain qu’il soit si fragile ? Seul l’avenir le dira). Une autre limite peut-être lui-même : parviendra-t-il à garder sa ligne de conduite, l'éthique de travail, l’humilité et surtout la patience nécessaires à l’accomplissement de ses ambitions. Ce dernier point est peut-être le plus complexe, car les attentes démesurées autour de lui (certains parlaient de play-offs voire de titre NBA dès cette année, ce qui était totalement illusoire) viennent avec une pression au quotidien. On attend qu'il fasse des choses surhumaines à chaque match, ce qui n’est ni raisonnable, ni possible. Les grandes stars du jeu -Jordan, LeBron- ont souvent attendu huit ou neuf ans avant de toucher le Graal. 

Quant aux Américains, ils voient tout simplement Victor comme potentiellement la plus grande star que leur ligue ait connu. A New York, il avait déjà des milliers de suiveurs, dans la rue, les stades, le métro. Victor ne pouvait pas sortir et faire dix mètres dans les rue de Manhattan. New York n’est pas un endroit où on entend des « Go Spurs Go », pourtant c’était ce que criaient les gamins qui venaient lui demander des autographes dans le stade des Yankees, où Victor a réalisé le Cérémonial Pitch, comme un entre deux fictif en basket, un honneur habituellement réservé aux présidents des USA ou aux superstars. A son arrivée à San Antonio, l’avion de Victor a fait l’objet d’un Water Salute, arrosé par les pompiers. Là encore, on fait ça pour les chefs d’Etat, pas pour un rookie NBA . Cela vous donne une idée des attentes autour de lui. Même LeBron James n’a pas connu pareil déferlement, car à son époque au début des années 2000, pas de réseaux sociaux comme aujourd’hui. Pour la NBA, l’avènement de Victor, c’est une bénédiction : un joueur métisse issue de deux continents -l’Europe et l’Afrique-, la tête sur les épaules, avec un potentiel de MVP, voire plus, qui symbolise et porte toute leur stratégie de globalisation planétaire. Que demander de mieux pour le story-telling. Le boss de la NBA Adam Silver m’a dit que le basket entrait potentiellement, avec lui, dans un nouvel « âge d’or ».    


- La franchise des Spurs de San Antonio, deux décennies après Tony Parker et 4 fois champion NBA avec la franchise texane, est un joli clin d'œil de l'histoire. Pour vous cela représente-t-il une chance ou au contraire une pression supplémentaire pour lui?

Une pression, non. Une chance, peut-être, pour l’environnement, même si on peut légitimement se demander aujourd’hui quelle est la stratégie des Spurs dans la construction de leur équipe. Ils ont trois ans pour devenir candidats au titre (le premier contrat rookie court sur quatre ans). Ou ils prendront le risque de le voir partir. Personnellement, j’aurais apprécié de le voir atterrir dans une autre franchise où il aurait pu construire sa propre histoire, sans devoir systématiquement être comparé à Tony Parker. Ce ne sont pas les mêmes histoires. Mais le hasard en a décidé ainsi et cela n’a pas l’air de le déranger, puisque lui-même disait sentir et savoir avant la loterie de la draft qu’il finirait à San Antonio. 

- La structure du livre entre interviews, reportages, un mélange de photographies et dessins, les phrases marquantes de ou sur Victor donnent un style original au livre et une esthétique particulière. Pour nous ce livre est un peu à l'image de Wembanyama, du jamais-vu dans les livres basket en France. Vous partagez notre avis?

Le compliment me touche au cœur, mais je n’irais pas jusque-là. Nous avons fait de notre mieux pour que l’ouvrage lui ressemble et qu’il ouvre une porte sur l’un de nos grands champions (espérons-le) en devenir.  

 

 

 

En cette fin d'année vous retrouvez également l'annuel de référence du basket de la saison 2023. Toujours aux éditions Solar et coécrit par Yann Ohnona et Yann Casseville.

Marquée par le passage d'une comète générationnelle nommée Victor Wembanyama, 2023 fut une année totale. " Wemby ", désigné numéro 1 de la draft NBA par les San Antonio Spurs a ébloui la France, et plus encore, toute la planète basket lors d'une saison en apesanteur.
Monaco fut l'autre grande histoire, champion incontestable sur la scène nationale invaincu en play-offs et premier représentant du championnat de France depuis 1997 à atteindre le Final Four de l'Euroligue, en s'appuyant sur une équipe à la puissance de feu inédite.
Le signe de la bonne santé du basket français, avec un intérêt croissant des médias et des perspectives en or.
L'absence de Wembanyama avec l'équipe de France pour la Coupe du monde a semblé d'autant plus dommageable, a posteriori, alors que les Bleus ont livré leur pire campagne de l'ère moderne, éliminés en 48 heures chrono. Un fiasco retentissant.

Toute la saison de basket est dans ce nouvel opus du Livre d'or, enrichi des statistiques et des plus belles photos de L'Équipe.Marquée par le passage d'une comète générationnelle nommée Victor Wembanyama, 2023 fut une année totale. " Wemby ", désigné numéro 1 de la draft NBA par les San Antonio Spurs a ébloui la France, et plus encore, toute la planète basket lors d'une saison en apesanteur. Monaco fut l'autre grande histoire, champion incontestable sur la scène nationale invaincu en play-offs et premier représentant du championnat de France depuis 1997 à atteindre le Final Four de l'Euroligue, en s'appuyant sur une équipe à la puissance de feu inédite.
Le signe de la bonne santé du basket français, avec un intérêt croissant des médias et des perspectives en or.
L'absence de Wembanyama avec l'équipe de France pour la Coupe du monde a semblé d'autant plus dommageable, a posteriori, alors que les Bleus ont livré leur pire campagne de l'ère moderne, éliminés en 48 heures chrono. Un fiasco retentissant.

Toute la saison de basket est dans ce nouvel opus du Livre d'or, enrichi des statistiques et des plus belles photos de 
L'Équipe.

 

 

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